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Nous sommes 5 chauffeurs dans une société de 80 salariés. Mon employeur a décidé de supprimer 3 postes de chauffeur pour motif économique. Quels sont les 3 salariés qui vont être licenciés ?
Votre employeur est tenu de respecter des critères pour déterminer l’ordre des licenciements. Ces critères d’ordre des licenciements doivent être appliqués à l’ensemble des salariés appartenant à la catégorie professionnelle dont relèvent les emplois supprimés, sans discriminations. Ils peuvent être prévus par votre convention collective, ou par un accord d’entreprise, qui fixe souvent une hiérarchie à respecter par l’employeur.
En l’absence de dispositions conventionnelles, l’employeur doit prendre en compte, notamment, des critères légaux (art. L. 1233-5 C. trav.) : les charges de famille (en particulier celles des parents seuls), l’ancienneté dans l’entreprise, la situation des salariés qui auront des difficultés à retrouver un emploi (salariés âgés, travailleurs en situation de handicap...) et les qualités professionnelles appréciées par catégorie. L’employeur peut compléter la liste mais il doit prendre en compte l’ensemble des critères légaux avant d’en privilégier certains.
Application de l’ordre des licenciements
Par exemple, à qualification égale (chauffeur), 3 points vont être attribués par personne à charge, 5 points pour les parents isolés, 2 points par année d’ancienneté, 4 points pour les personnes difficiles à reclasser, et de 0 à 10 points pour les qualités professionnelles (points donnés par la direction après consultation des responsables de service et des élus du CSE du même collège, le cas échéant). De cette façon, le salarié qui aura obtenu le moins de points sera licencié en premier, et ainsi de suite.
Attention ! L’ordre des licenciements aurait été applicable même si un seul poste de chauffeur avait été supprimé car l’entreprise comporte plusieurs salariés ayant une qualification de chauffeur. La notion de catégorie professionnelle vise les salariés exerçant des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.
Périmètre d’application
Une fois l’ordre des licenciements déterminé, il faut savoir dans quel périmètre l’appliquer. Depuis les ordonnances Macron du 24/09/2017, ce périmètre n’est plus obligatoirement l’entreprise. Un autre périmètre peut être fixé par accord d’entreprise. En l’absence d’accord, le périmètre ne peut être inférieur à celui de la zone d’emploi (les 322 zones d’emploi en France sont consultables sur les sites de l’Insee et de la DARES) dans laquelle sont situés un ou plusieurs établissements de l’entreprise concernés par les suppressions d’emplois.
Ce ne sont donc pas nécessairement les salariés dont l’emploi est supprimé (dans tel ou tel établissement) qui vont être licenciés. L’application des critères peut obliger l’employeur à muter des salariés dont le poste est supprimé vers des emplois dont les titulaires sont licenciés. Autrement dit, un salarié dont l’emploi n’est pas supprimé peut être licencié parce qu’il a été désigné en application des critères, tandis qu’un autre dont le poste a été supprimé pourra être maintenu dans l’entreprise.
Ainsi, si tous les chauffeurs de l’entreprise relèvent de la même zone d’emploi, les critères devront être appliqués au niveau de l’entreprise. En revanche, si les chauffeurs travaillent dans des établissements distincts, un accord pourra fixer le périmètre d’application des critères. En l’absence d’accord, l’employeur pourra définir lui-même ce périmètre, sous réserve qu’il ne soit pas inférieur à la zone d’emploi concernée par les licenciements.
Plus concrètement encore, lorsque des suppressions d’emplois concernent tel ou tel établissement en difficulté, il faut vérifier si d’autres établissements font partie de la même zone d’emploi. Si oui, on appliquera les critères entre les salariés appartenant à des établissements situés dans cette même zone. Autrement, l’application des critères sera limitée aux salariés du ou des établissement(s) concerné(s) par les suppressions d’emplois.
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Puis-je connaître les critères ayant conduit à mon licenciement pour motif économique ?
Oui, vous devez en faire la demande à l’employeur, par lettre recommandée avec accusé de réception ou lettre remise contre décharge, dans les 10 jours suivant la fin de votre contrat.
L’employeur dispose alors de 10 jours à compter de la réception de votre demande pour vous répondre, sous la même forme (art. R. 1233-1 C. trav.). Il doit préciser, outre les critères retenus, les éléments permettant de vérifier l’application de ces critères à votre situation.
Un défaut ou retard de réponse constitue une irrégularité ouvrant droit à des dommages-intérêts à hauteur du préjudice subi, cumulables, le cas échéant, avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 13/10/2010, n° 09-42549).
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Mon employeur a privilégié le critère de la productivité en attribuant à ce critère le plus grand nombre de points. Or je conteste l’appréciation qu’il a faite de mes qualités professionnelles. Un recours est-il possible ?
L’employeur ne peut privilégier un critère qu’après avoir pris en compte la totalité des critères légaux (art. L. 1233-5 C. trav.). Les notes ou points qu’il attribue pour arrêter son choix doivent être basés sur des éléments précis, objectifs et vérifiables.
En cas de contestation, vous pouvez saisir le conseil de prud'hommes qui appréciera souverainement, en fonction des critères communiqués par l’employeur et de vos propres éléments.
Par exemple, un employeur avait pris en compte le trop grand bavardage d’une salariée qui, selon lui, “affectait nécessairement sa productivité”, sans autre justification que des attestations versées aux débats établissant le bavardage (Cass. soc. 14/01/1997, n° 95-44366). Ce critère n’a pas été jugé objectif. L’employeur aurait dû démontrer, en termes de résultats et d’objectifs, en quoi la salarié produisait moins ou moins bien que les autres salariés.
Préjudice et réparation
S’il est démontré que les critères retenus sont illégaux ou qu’ils n’auraient pas dû conduire à votre licenciement (par exemple si l’employeur a omis un critère ou en a neutralisé un en attribuant le même nombre de points à tous les salariés concernés par les suppressions de postes, ou encore si l’employeur n’a pas respecté la définition des catégories professionnelles), vous aurez droit à une indemnité fixée en fonction du préjudice subi, à condition toutefois que vous puissiez établir l’existence d’un préjudice dont l’évaluation relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. soc. 26/02/2020, 17-18136).
La réparation doit tenir compte du fait que si l’ordre des licenciements avait été respecté, vous n’auriez pas perdu votre emploi. Aussi pouvez-vous soutenir que la perte injustifiée de votre emploi doit être intégralement réparée (Cass. soc. 12/03/2003, n° 98-44682). De plus, le non-respect des règles relatives à l’ordre des licenciements est sanctionné pénalement par une amende de 750 euros (art. R. 1238-1 C. trav.).
Attention ! L’arrêt du 26/02/2020 constitue un revirement de jurisprudence. La Cour de cassation considérait auparavant que le non-respect des critères causait nécessairement au salarié un préjudice que les juges devaient apprécier en fonction de son étendue (Cass. soc. 26/01/1999, n° 97-40463). Le salarié doit désormais établir l’existence du préjudice.
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J’ai été licencié pour un motif économique que je conteste et en méconnaissance des règles relatives aux critères d’ordre des licenciements. Puis-je demander des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que des dommages-intérêts pour inobservation des critères ?
Si vous demandez des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, vous ne pourrez pas percevoir, en plus, des dommages-intérêts pour violation de l’ordre des licenciements car les premiers “englobent” les seconds (Cass. soc. 05/10/1999, n° 98-41384). En effet, s’il n’existait en réalité aucun motif réel et sérieux de licenciement, l’employeur n’avait pas de choix à opérer entre les salariés, et donc pas d’ordre des licenciements à respecter.
Attention ! La méconnaissance des critères d’ordre ne suffit pas à faire du licenciement un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
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Sur 9 salariés dans l’entreprise, mon employeur en a licencié 5. Et sur ces 5 personnes, 3 étaient en arrêt pour accident du travail. Est-ce discriminatoire ?
Selon la loi, les critères arrêtés par l’employeur ne doivent jamais être discriminatoires (art. L. 1132-1 C. trav.). S’ils sont discriminatoires, alors ils sont considérés comme nuls (art. L. 1132-4).
En cas de doute, c’est au conseil de prud'hommes de rechercher si les salariés ont été licenciés en fonction de l’ordre des licenciements, ou bien en raison de leur état de santé. Un employeur qui licencie un salarié en arrêt maladie pour accident du travail doit préciser le ou les motifs pour lesquels il se trouve dans l’impossibilité de maintenir le contrat. L’existence d’un motif économique ne caractérise pas, à elle seule, cette impossibilité.
L’employeur doit donc expliciter dans la lettre de licenciement le motif économique rendant impossible le maintien du contrat de travail, d’une part, mais aussi préciser les critères retenus et justifier le choix de l’identité des salariés licenciés, d’autre part (sachant que la loi l’oblige à tenir compte de la situation des salariés qui auront des difficultés à retrouver un emploi, art. L. 1233-5). Si les motivations et les preuves avancées ne sont pas suffisantes, le licenciement de ces salariés sera jugé discriminatoire.
Attention ! Le seul fait d’être en arrêt pour accident du travail ne protège pas le salarié du licenciement économique, et ne le soustrait pas à l’ordre des licenciements.
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Mon employeur a fixé des critères d’ordre dans le document unilatéral de notre PSE qui a été validé par la DREETS. Puis-je contester devant le conseil de prud'hommes le critère de l’appréciation des qualités professionnelles qui attribue le même nombre de points à tous les salariés et qui me porte préjudice ?
Non. Le juge des prud’hommes n’a pas le pouvoir de remettre en cause, à l’occasion d’un contentieux individuel, l’appréciation portée par la DREETS sur les critères retenus et leurs modalités de pondération. Vous ne pouvez donc pas réclamer des dommages-intérêts pour violation des critères d’ordre en faisant valoir que le PSE ne peut neutraliser ce critère légal.
Le seul recours possible est de contester la décision d’homologation de la DREETS devant le tribunal administratif (Cass. soc. 25/03/2020, n° 17-24491).
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Nous sommes 5 ouvriers du bâtiment employés en CDI de chantier. Le projet de construction sur lequel nous travaillons est bientôt terminé et nous allons être licenciés. Quelle procédure l’employeur doit-il appliquer ?
Les ruptures de contrat à durée indéterminée pour fin de chantier sont soumises à la procédure de licenciement pour motif personnel, et non à la procédure de licenciement économique. Lorsqu’elles revêtent un caractère normal, selon la pratique habituelle et l’exercice régulier de la profession, ces ruptures sont assimilées à des licenciements pour cause réelle et sérieuse.
Le CDI de chantier ou d’opération est particulièrement répandu dans le secteur du bâtiment, mais il peut être conclu dans toutes les branches d’activité.
À qui s'adresser ?
Pour obtenir des réponses précises à vos questions et être accompagné tout au long de la procédure de licenciement, vous pouvez vous tourner vers votre CSE ou le délégué syndical CFTC présent dans votre entreprise.
En l’absence de représentants syndicaux, vous avez la possibilité de contacter un conseiller du salarié. La liste des conseillers du salarié est accessible depuis le portail des DREETS. Ce sont des bénévoles, en activité ou retraités, désignés pour assister gratuitement les salariés qui en font la demande, notamment dans le cadre d’un licenciement pour motif économique.
En cas de difficultés pour trouver un conseiller du salarié, vous pouvez contacter l’union CFTC de votre département.