Le terme risque psychosocial a été utilisé pour la première fois dans le cadre d’études afin de désigner une catégorie statistique regroupant différents facteurs de risques. Les risques psychosociaux (RPS) sont définis en 2011 par un collège d’expertise, présidé par le statisticien et sociologue Michel Gollac, de la manière suivante : les risques pour la santé physique et mentale des salariés générés par leur situation de travail. Ces risques, liés à la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT), peuvent aussi bien provenir des conditions d’emploi, de facteurs organisationnels que des relations professionnelles.
Les risques psychosociaux au travail : une problématique reconnue et encadrée
Définition des risques psychosociaux
Attention !
Il faut bien distinguer les facteurs de risques psychosociaux, les risques psychosociaux et leurs conséquences sur la santé. Les facteurs de risques psychosociaux (l’intensité du travail, les exigences émotionnelles…) créent les conditions d'apparition des risques psychosociaux (stress, violences), qui peuvent porter atteinte à la santé des salariés (burn-out, dépression, maladies cardiovasculaires…).
Les RPS, un enjeu de santé au travail et de santé publique
C’est dans les années 1990 que la question des risques psychosociaux fait son apparition dans le débat public, à la suite de la dénonciation à la fois du harcèlement moral et de la banalisation de la souffrance au travail. Dès 2002, elle s'inscrit dans la loi : les employeurs doivent prévenir et mettre fin aux pratiques de harcèlement professionnel.
En 2008, le collège d’expertise scientifique, mentionné plus haut, présidé par M. Gollac, est créé par le ministre du Travail. Son but est de définir un dispositif d’observation et des indicateurs de risques psychosociaux au travail afin d’appréhender et de suivre la situation de la France. Un rapport définitif est rendu en avril 2011.
En 2009, un plan d’urgence pour la prévention des RPS dans les entreprises de plus de 1 000 salariés est proposé. Mais ce projet est abandonné dès l’année suivante, à la suite de la démission du ministre qui l’avait initié.
Puis ce sont les partenaires sociaux qui, dans un accord national interprofessionnel (ANI), donnent une définition du stress au travail, en pointant les facteurs de risques à surveiller :
Texte de Loi
« Un état de stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face. »
ANI du 2 juillet 2008 relatif au Stress au travail
À savoir
Aujourd’hui, le risque psychosocial est un enjeu majeur de santé au travail et de santé publique car il occasionne une perte de compétitivité dans les entreprises et un coût conséquent pour la Sécurité sociale. Violences, addictions, santé mentale… Les RPS peuvent avoir de vives répercussions sur le développement personnel des individus mais également sur la cohésion sociale.
De nombreux facteurs de risques psychosociaux déjà identifiés
Le rapport délivré par M. Gollac et son collège d’expertise permet d’identifier plusieurs facteurs de risques psychosociaux décrits ci-dessous.
Les exigences du travail :
L’intensité du travail
L'intensité du travail, ce premier axe d'analyse, se définit par la quantité de travail à fournir sur une période donnée. On y aborde les contraintes de rythme, les délais pour effectuer les tâches, l'interdépendance de tâches entre collègues, les fréquentes interruptions de tâches etc.
La complexité du travail
La complexité du travail s’analyse par la présence de difficultés propres à l’activité, de grandes responsabilités, d’objectifs irréalisables ou mal-définis (injonctions contradictoires), quand il faut penser à plein de choses à la fois (charge mentale importante) mais également quand de nouvelles technologies ont été introduites sans repenser l’organisation du travail.
À savoir
Si on ne peut de prime abord considérer l’usage de nouvelles technologies de l’information ou de logiciels de gestion intégré comme un facteur de complexité au travail, car les travailleurs sont censés y être préparés, il importe cependant que les changements organisationnels induits par ces nouveaux processus soient anticipés et que les les salariés soient associés à la démarche. Il s’agira en effet d’accompagner au changement pour que le nouvel outil participe à l’amélioration des conditions de travail et non l’inverse.
Le temps de travail
La durée et l’organisation du temps de travail influent directement sur l’état de santé des travailleurs. Cela peut également avoir un impact sur l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée..
Il existe différents types de temps de travail potentiellement nuisibles à la santé des salariés :
- un nombre d’heures travaillées excessif ;
- le travail de nuit, dont un lien de causalité a été établi avec le cancer ;
- le travail posté ;
- les horaires antisociaux (horaires décalés) ;
- le débordement du travail à la maison ;
- le présentéisme prolongé.
Ces exigences du travail peuvent, à partir d’un certain seuil, provoquer anxiété, stress, troubles dépressifs, troubles de l’humeur, perte de l’estime de soi… Elles peuvent par ailleurs être à l’origine d’un conflit entre deux conceptions opposées du travail (travailler vite ou travailler bien) qui peut entraîner une démobilisation du travailleur. Enfin, elles sont source d’accidents du travail car le manque de temps entrave la réflexion et entraîne erreurs et oublis.
Attention !
Avoir un ordinateur ou un téléphone portable professionnel peut contribuer à l’extension de la disponibilité des salariés au-delà des horaires de travail. C’est ainsi que le droit à la déconnexion a été instauré (loi travail du 8 août 2016) : le salarié a le droit de ne pas se connecter ou de ne pas répondre aux appels en dehors de son temps de travail.
Les exigences émotionnelles
Les exigences émotionnelles liées à la relation au public
Les métiers en lien avec un public, et notamment les métiers de service et de soins, impliquent de contrôler et de façonner ses propres émotions face à autrui. C’est le cas par exemple des hôtesses de l’air qui doivent rester sereines, quelle que soit la situation, pour rassurer les passagers de l’avion.
De plus, dans les métiers de relation au public, le salarié est souvent placé en position d’infériorité et doit faire face aux réactions des clients. Elles peuvent être imprévisibles voire violentes et aller jusqu’à l’atteinte à la dignité (mépris, insultes, etc.)
Les exigences émotionnelles liées au contact avec la souffrance
Certains salariés sont confrontés à la souffrance de manière régulière. C’est le lot quotidien des professions médicales, des travailleurs sociaux ou des agents de police.
D’autres métiers, comme les guichetiers ou les téléopérateurs, sont de plus en plus exposés à la détresse économique et sociale du fait de la précarisation de la population.
Le risque pour la santé du travailleur résulte des réactions psychologiques au contact des personnes en souffrance. Cette situation est aggravée lorsque le salarié se retrouve en situation d’impuissance face à la souffrance dont il est témoin.
Les exigences émotionnelles liées à la dissimulation des émotions
Parfois, la fonction du travailleur implique de dissimuler ses émotions. Il s’agit par exemple de rester calme face à un public agressif ou d’afficher un grand sourire pour accueillir des clients. Cela se retrouve également dans les secteurs d’activités où la culture demande l’affichage constant de la “positive attitude” ou dans ceux exigeant l’excellence (les salariés doivent apparaître toujours motivés, disponibles et enthousiastes).
À savoir
Les exigences émotionnelles, qu’elles soient liées au contact avec le public ou avec la souffrance ou à la dissimulation des émotions, peuvent conduire à l’épuisement, à des troubles psychiatriques, à la dépression, à des troubles de l’humeur, à la difficulté d’exprimer des émotions authentiques…
L’autonomie et les compétences au travail
Le manque d’autonomie
Un salarié autonome est acteur dans son travail. Il a des marges de manœuvre, il peut s’auto-organiser et participe aussi bien à la production qu’à la conduite de sa vie professionnelle.
Globalement, un manque d’autonomie au travail risque de causer une diminution des capacités intellectuelles, cognitives et de la qualité de vie en dehors du travail.
Attention !
L'autonomie est bien souvent valorisée. Cependant, elle peut devenir facteur de risque pour un salarié bénéficiant d'une grande latitude décisionnelle sur son travail. En effet, à l'heure de l'évaluation de ses performances individuelles, le salarié très autonome aura plus facilement tendance à s'attribuer la responsabilité d'un éventuel échec.
La prédictibilité du travail
La prédictibilité du travail, soit le fait de pouvoir anticiper les changements, en ayant des objectifs clairs, est un vecteur d’autonomie. Au contraire, l’imprévisibilité du travail peut provoquer une insécurité, du stress et de l’absentéisme. Une prédictibilité trop importante quant à elle peut entraîner monotonie et ennui.
Le développement des compétences
Mobiliser ses compétences et en acquérir de nouvelles permet de gagner en autonomie et d’évoluer professionnellement et, par conséquent, de se sentir épanoui au travail. La situation inverse peut provoquer de l’angoisse et la perte d’estime de soi.
La formation professionnelle continue, ainsi que la possibilité de résoudre des problèmes dans le travail, peuvent largement participer au développement des compétences.
Le travail répétitif et monotone
Dans un travail répétitif et monotone, les compétences du salarié ne sont pas sollicitées à leur juste valeur. Cela peut générer de l’ennui, du découragement, une perte de l’estime de soi, de la fatigue, des troubles psychiques ou cardio-vasculaire. Le relâchement de l’attention favorise les erreurs et constitue donc une potentielle source de tension.
Les rapports sociaux dégradés : manque de coopération et de reconnaissance au travail
La reconnaissance professionnelle
Se sentir reconnu pour son travail est un élément clé de l’identité professionnelle. En revanche, le manque de reconnaissance professionnelle est source de souffrance. Questionner la reconnaissance professionnelle, c’est analyser les relations avec les collègues, avec la hiérarchie, les modalités d’évaluation mais également les relations avec l’extérieur (clients/public). Il est à noter que le manque de considération peut néanmoins être compensé jusqu’à un certain point par l’utilité sociale pour certains emplois (métiers du soins par exemple).
La justice organisationnelle
Dans les entreprises reposant sur une « justice organisationnelle », les salariés sont jugés de manière équitable et reconnus pour le travail accompli, ce qui se reflète dans leur rémunération, leurs promotions professionnelles, et la qualité des intéractions interprofessionnelles… Au contraire, un manque de soutien de la hiérarchie peut créer un sentiment d'injustice.
Le harcèlement, la discrimination et la violence au travail
La discrimination peut se fonder sur de multiples critères : sexe, orientation sexuelle, âge, nationalité, origine ethnique ou géographique, apparence physique, opinions politiques, syndicales ou religieuses. Elle est source d’insécurité professionnelle et peut se traduire par une stagnation dans la carrière ou par une affectation à des tâches pénibles ou peu valorisantes.
La violence, notamment psychologique, résultant du harcèlement sexuel ou du harcèlement moral, présente un risque majeur de troubles dépressifs et d’anxiété. Elle est parfois la conséquence :
- d’une manière de gérer le personnel et les équipes de façon négative et punitive (harcèlement institutionnel/managérial), d’une désorganisation de l’entreprise suite à des changements importants (harcèlement organisationnel) ;
- d’une opposition au collectif qui cherche à préserver des stratégies de défense contre la souffrance (conflit éthique, travail dangereux) ;
- d’une stratégie intentionnelle de l’entreprise, se traduisant par un management par le stress, une mise à l’écart des cadres âgés (harcèlement systémique), de la discrimination syndicale, etc.
Les conflits de valeur
Le conflit éthique
Les salariés peuvent être confrontés à un conflit éthique lorsque leur travail va à l’encontre de leurs convictions personnelles : accomplissement d’actes répréhensibles comme la fraude, le management par le stress ou la discrimination, vente de produits ou de services ne correspondant pas aux besoins du client… Le conflit éthique peut générer de la souffrance chez le salarié.
Ce type de conflit peut notamment survenir à la suite d’un changement radical des valeurs et des critères d’évaluation de l’entreprise.
La qualité empêchée
Des problèmes organisationnels, un manque de moyens ou des équipements ne permettant pas d’accomplir un travail de qualité peuvent donner au salarié une image négative de son activité.
La qualité empêchée est souvent la conséquence d’une trop forte intensité du travail, d’un manque d’autonomie ou d’un manque de reconnaissance du travail fondé sur une méthode d’évaluation ne tenant pas compte de la réalité.
Le travail inutile
Effectuer un travail semblant inutile mène à une perte de sens, ce qui présente un risque pour la santé. Cela peut venir d’un désaccord du salarié avec les orientations de l’entreprise ou d’un décalage entre la tâche à accomplir et ce qui peut vraiment être fait.
L’insécurité de la situation de travail
La sécurité de l’emploi
Le salarié fait face à de l’insécurité quand il ne se sent pas en mesure de préserver son emploi. Cette insécurité peut résulter de la nature du contrat de travail (CDD, intérim), d’un temps partiel subi ou d’une menace de licenciements économiques. Elle peut aussi venir de la gestion par projet, car la réussite ou l’échec d’un projet détermine la progression ou la stagnation, voire la régression, de la carrière.
Sur le long terme, cette insécurité peut avoir des conséquences en particulier sur la santé mentale (troubles anxieux, faible estime de soi), elle favorise les conduites addictives ainsi que le présentéisme.
La soutenabilité du travail
Un travail est soutenable lorsque le salarié a la possibilité de le conserver tout au long de sa vie professionnelle. Cela intègre les notions d'usure professionnelle et de pénibilité. Un travail soutenable est censé être exempt de contraintes ou de nuisances susceptibles de provoquer des pathologies durables pouvant entraîner une désinsertion professionnelle. De surcroît, il est à noter qu'une ambiance physique de travail dégradée peut majorer les effets de l'exposition aux facteurs de risques psychosociaux (un environnement de travail bruyant gêne la concentration et peut augmenter le stress).
La conduite du changement
Tout changement, qu’il soit stratégique, organisationnel, technologique ou statutaire, implique un effort d’adaptation et de compromis de la part des salariés. Lorsque l’entreprise procède à une restructuration sans anticipation, sans explications, sans adaptations et/ou compromis cela peut générer une grande insécurité pour les salariés.
La prévention des risques psychosociaux au travail
Prévention des RPS : les obligations de l’employeur
Suite aux accords nationaux interprofessionnels (ANI) du 2 juillet 2008 sur le stress au travail et du 26 mars 2010 sur la violence au travail, l’employeur n’a aucune obligation d’ajouter les risques psychosociaux aux différents thèmes abordés dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire (NAO) (art. L. 2242-1 et suivants C. trav.).
Cependant, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat afin d’assurer la sécurité des salariés et de protéger leur santé physique et mentale (art. L. 4121-1 C. trav.). Cette obligation touche à tous les risques professionnels et inclut donc les risques psychosociaux. Elle oblige l’employeur à mettre en place différentes actions :
Le document unique d’évaluation des risques professionnels
Afin d’établir une démarche de prévention, l’employeur doit réaliser le document unique d’évaluation des risques (DUERP) (art. R. 4121-1 C. trav.) dans lequel sont mesurés tous les risques professionnels, y compris les risques psychosociaux, auxquels sont exposés les salariés.
Ensuite, l’employeur peut mettre en œuvre des mesures de prévention fondées sur cette évaluation des risques.
À savoir
Bien que l’employeur ne soit pas sujet à une obligation réglementaire d’instaurer des mesures de prévention, l’absence d’évaluation des risques et de prévention constitue un manquement à ses obligations qui entraîne un préjudice pour chaque travailleur (Cass. soc., 08/07/2014, n° 13-15470). En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, cela permet de caractériser la faute inexcusable de l’employeur au sens de la Sécurité sociale (Cass. civ. 2°, 18/11/2010, n°09-17275).
Un bilan et un programme annuel de prévention
Toutes les entreprises d’au moins 50 salariés doivent établir :
- un bilan annuel de la situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail et des actions menées au cours de l’année écoulée (art. L. 2312-27 C. trav.) ;
- un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail (PAPRIPACT) fixant la liste détaillée des mesures envisagées, de leurs conditions d’exécution et de leurs coûts respectifs.
Ce bilan et ce programme doivent être préparés avec la consultation du CSE.
À savoir
L’employeur est tenu de faire participer ses salariés à toute la démarche de prévention, de l’évaluation des risques professionnels à l’identification des mesures de prévention. Toutefois, les salariés n’ont pas la responsabilité de sélectionner les mesures de prévention.
Le rôle des CSE dans la prévention des RPS en entreprise
Les délégués syndicaux ont la possibilité de négocier un accord concernant la prévention des RPS au moment de la négociation annuelle obligatoire.
Lors de la consultation annuelle du CSE sur la politique sociale, ce dernier peut formuler des avis et critiques au sujet de la politique de prévention menée par l’entreprise mais surtout émettre des recommandations. Ils peuvent également faire appel à des experts externes pour nourrir le débat.
En cas d’atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique ou mentale ou à leurs libertés individuelles ou en cas de danger grave et imminent, les élus du CSE ont le pouvoir d’actionner le droit d’alerte. L’employeur a pour devoir de mener une enquête immédiatement, accompagné d’un représentant du personnel.
Attention !
Une démarche de prévention doit s’inscrire sur le long terme par le biais de la formation, de l’acquisition de compétences, … Un accord est un outil au service de la prévention et ne doit pas devenir l’alibi de l’employeur pour se disculper de son inaction lors de la consultation de différentes instances.